Le carnet oublié : quand le passé vient frapper à la porte

À 50 ans, elle pensait avoir fait la paix avec sa solitude. Aucun regret, aucune attache, juste le confort d’un quotidien ordonné. Mais un matin comme les autres, un objet oublié sur son canapé va faire vaciller toutes ses certitudes. Et si son passé cachait une vérité qu’elle n’avait jamais osé affronter ? À Nantes, au fil des souvenirs et des silences, une femme va vivre la plus bouleversante des retrouvailles.
Elle savoure une vie calme, sans enfants, sans cris, sans attache. Jusqu’au jour où un carnet inconnu, trouvé sur son canapé, ravive un passé qu’elle croyait enterré. Une photo, une date, un bébé dans ses bras… Et cette voix, dans ses rêves, qui l’appelle « Maman. »
Cette fois, je ne rêve pas. La voix est bien là, derrière moi. Faible, mais claire. Je me lève lentement, chaque pas me semble irréel. Mon cœur tambourine dans ma poitrine comme les cloches de l’église Sainte-Croix un dimanche matin. Je tire doucement le rideau.
Personne.
Rien que la cour intérieure de mon immeuble, dans le quartier Bouffay, et la façade du voisin d’en face. Je suis figée. Puis, mon regard descend vers le sol. Une ombre. Un carnet. Non, le carnet. Tombé au sol. Je le ramasse. Une feuille dépasse.
Un certificat de naissance. Clémence D., née le 17 août 1981, Hôpital Hôtel-Dieu, Nantes. Mère : inconnue.

Un passé effacé
Je m’assois, les mains moites. Cette date. Ce prénom. Je fouille ma mémoire comme on fouille un vieux grenier, dans la poussière des souvenirs. Et soudain, une image jaillit.
J’ai 17 ans. J’ai peur. Une chambre d’hôpital. Un bébé qui pleure. Ma mère à côté de moi, sévère. « Ce sera mieux pour tout le monde », avait-elle dit. On ne m’a même pas laissée l’embrasser. On l’a emmenée. Je me suis refermée.
J’ai tout enfoui.
Une quête inattendue
Le lendemain, après une nuit blanche, je me rends à l’état civil de Nantes, place Louis XVI. J’ai les mains qui tremblent en présentant le carnet à l’employée. Elle me regarde, intriguée. Elle tape quelques mots sur son clavier.
« La personne que vous cherchez s’appelle bien Clémence D. Elle a fait une demande d’accès à ses origines, en 2001, mais n’a jamais eu de réponse. »
Je suis bouleversée. Ce prénom, ce visage. Une fille que j’ai portée. Une vie que j’ai refusée de vivre. Par peur, par honte, par obligation. Mais aujourd’hui, c’est différent. Je veux savoir. Je veux la retrouver.
Une adresse, un espoir
Grâce à une assistante sociale bienveillante, je finis par obtenir une adresse. Clémence vit à Nantes, dans le quartier Chantenay, pas si loin de chez moi. Je passe deux jours à me demander si je dois franchir le pas. Et puis, un dimanche matin, je me décide.
Je laisse une lettre dans sa boîte. Pas une grande déclaration, non. Juste quelques mots simples :
« Je crois être celle que tu cherches. Si tu veux me rencontrer, je suis au Café Penché, tous les lundis à 10h. — Aline. »
Un lundi pas comme les autres
Ce lundi-là, il pleut sur Nantes. Une bruine fine typique de la Loire-Atlantique. Je m’installe au fond du Café Penché, rue des Olivettes. Le patron me connaît, il me sert mon habituel : café noir, sans sucre.
À 10h10, je commence à perdre espoir. Et puis la porte s’ouvre.
Elle entre.
Elle me ressemble. Les mêmes yeux noisette, le même port de tête. Elle s’approche, un sourire timide aux lèvres.
« C’est vous ? »
Je hoche la tête. Elle s’assied. Aucun mot ne vient, alors je tends la main. Elle la prend. Un frisson me traverse.
Des retrouvailles en douceur
Nous restons là, à parler pendant deux heures. De nos vies. De nos manques. De nos silences. Elle est illustratrice, elle adore les livres pour enfants, vit avec une autre femme depuis huit ans, et rêve d’adopter.
« Tu veux faire connaissance ? » m’a-t-elle demandé, un peu plus tard, en quittant le café.
Je n’ai pas répondu. Je l’ai simplement prise dans mes bras.
Une vie nouvelle
Cela fait un an maintenant. Tous les mercredis, on se retrouve. Elle m’a présenté sa compagne, Juliette. Elles m’ont emmenée voir une exposition à la HAB Galerie. On a pique-niqué sur les bords de l’Erdre. Et, il y a trois mois, elles m’ont demandé si je voulais être la marraine de leur futur enfant.
Je vis toujours seule. Mais je ne suis plus seule.
Il y a des rires maintenant, des appels, des messages à toute heure. Il y a Clémence. Ma fille.
Une fin qui n’en est pas une
La vie ne suit pas toujours les plans que l’on trace. Parfois, elle fait des détours. Parfois, elle offre une seconde chance.
Et parfois, derrière un rideau, elle murmure ce qu’on a longtemps refusé d’entendre.
Maman.